Qu’y a-t-il, en l’autre, de si nocif pour nous ?
« L’autre n’est pas nécessairement mauvais, affirme Dominique Barbier. Il peut tout simplement y avoir une mauvaise rencontre entre deux inconscients : la part sombre de chacun stimule celle de l’autre. » Sans revêtir un caractère pathologique, certaines personnalités peuvent avoir un effet nocif. « C’est la mère culpabilisante et anxieuse, qui prévient sans cesse des risques et accable de bons conseils, nous empêchant de devenir autonomes et confiants. C’est le comportement passif-agressif du conjoint, qui n’exprime pas ses envies, mais se plaint constamment et fait de la résistance à toute suggestion, ou encore la jalousie maladive d’un collègue, qui va nous mettre des bâtons dans les roues, semer la zizanie », énumère Isabelle Nazare-Aga. Et puis il y a la fameuse figure du pervers narcissique, « un prédateur qui joue avec sa proie comme le chat avec la souris, explique Dominique Barbier. Il lui donne un premier coup de griffe, la laisse reprendre des forces et lui en assène un autre, plus violent. L’effort que fait la souris pour se relever est chaque fois plus grand, jusqu’à l’épuisement. Le pervers narcissique se distingue du pervers ordinaire – indifférent à l’autre, égocentrique, discourtois – par sa volonté de détruire sa proie. Parce que son narcissisme est défaillant, il ne ressent sa valeur qu’en dévalorisant sa victime jusqu’à l’anéantir ».
Quelles failles font de nous la cible des manipulateurs ?
Leurs proies sont en général extraverties, généreuses, solaires. « Le pervers convoite des qualités qu’il n’a pas et qu’il veut s’approprier, remarque Isabelle Nazare-Aga. Il se nourrit à la joie de vivre de l’autre, qui se laisse ferrer par son besoin de réassurance et sa naïveté : sa difficulté à reconnaître le mal chez les autres. » « Je ne me suis pas méfié, confirme Samuel, 41 ans, qui s’est libéré du joug de son ex-compagne. Elle avait beau souffler le chaud et le froid, je ne voyais que ses qualités : elle était si séduisante en public, si brillante. Et si cassante avec moi. Je pensais le mériter et devoir me hisser à la hauteur de ses attentes. » D’après Dominique Barbier, l’hyperséduction exercée par les pervers narcissiques devrait être un signal d’alarme : « Si nous nous sentons aimés de manière excessive, mis sur un piédestal, attention, danger. Car ces personnalités toxiques fonctionnent sur le mode du clivage : elles n’ont pas accepté d’être à la fois bonnes et mauvaises, et reportent sur l’autre les défauts qu’elles ne tolèrent pas en elles. »
Comment nous prémunir des relations nuisibles ?
S’appuyer sur l’entourage. Dans le cadre professionnel, la rupture n’est pas forcément possible. « Mais, ça, c’est souvent une croyance », estime Isabelle Nazare-Aga. Dans tous les cas, il s’agit de sortir de l’isolement dans lequel nous a placés cette relation exclusive et écrasante. Et de s’appuyer sur son entourage, à la fois pour se défendre et pour se reconstruire à la faveur d’autres liens affectifs. « Nous nous y sommes mis à plusieurs pour lister les faits et demander le renvoi de notre chef de service, raconte Nathalie, 31 ans. Individuellement, aucun de nous n’avait été entendu. » Après la rupture, la personne toxique peut continuer de nuire. « Classiquement, le conjoint manipulateur réclame la garde exclusive de l’enfant, même s’il ne s’en occupait pas, et s’attaque à l’image de la mère », avertit Isabelle Nazare-Aga. Mieux vaut être prévenu et devancer les faits en demandant à l’entourage de témoigner en notre faveur.
Comment les éviter à l’avenir ?
« Quand on a été victime une fois, que l’on accepte d’être à l’écoute des petits signes qui ne trompent pas et de son intuition, nous savons repérer les pervers, atteste Dominique Barbier. Néanmoins, l’aide d’un spécialiste est indispensable pour colmater les failles qui ont fait de la proie la complice du prédateur. » Certains schémas cognitifs doivent être modifiés : « La croyance qu’il faut absolument être aimés, approuvés, estimés par tout le monde, expose Isabelle Nazare-Aga. Ou qu’il faut être profondément compétents et capables d’atteindre tous nos objectifs pour nous considérer comme valables. » Tant que ces schémas perdurent en nous, nous ne sommes pas à l’abri.
Faire le pari de la sincérité !!!
Être plus sincère ne signifie pas tout dire. Tact et retenue sont indispensables : cela protège notre intimité et la sensibilité de l’autre. Mais ce qui pourrait être une simple élégance relationnelle devient souvent un art du travestissement, « en raison du mode d’emploi des relations que nous avons tous reçu », constate Christian du Mottay, spécialiste en psychologie des relations humaines et auteur de Je ne veux plus faire semblant (Eyrolles, 2014). Notamment : ne te montre pas trop, avance masqué, sans quoi les autres en profiteront à ton détriment. « Le simulacre est présenté comme la solution. Or, c’est le problème », déclare-t-il. Car il transforme la relation en jeu de dupes : chacun prétend être ce qu’il n’est pas, les problèmes évités persistent en s’aggravant. Tandis que la dissimulation nous détourne de nous-mêmes et de l’autre, générant frustrations et malentendus, la sincérité nous permet de gagner en franchise, en compréhension, en acceptation réciproque. Elle suppose d’abord, pour chacun de nous, d’accepter la réalité de nos émotions, de notre singularité, de notre vulnérabilité. Et d’aller regarder les peurs, souvent infondées, qui nous empêchent de nous montrer tels que nous sommes : peur de la malveillance supposée de l’autre, peur de lui infliger un choc, peur du désamour ou du rejet, peur de nous approcher de nos failles… Cet effort de lucidité envers nous-mêmes peut nous permettre de mieux assumer qui nous sommes et de nouer des relations plus authentiques. Nous avons demandé à Christian du Mottay trois exercices pour nous aider à avancer dans cette voie. Les voici.
Observer son corps
« Pensez à une rencontre qui doit avoir lieu et que vous redoutez un peu. Appliquez la technique du “drame fictif”, qui consiste à imaginer, avec le plus de détails possible, le pire qui puisse vous arriver en la circonstance. Quel comportement de l’autre vous mettrait mal à l’aise ? Quelle attitude de sa part vous blesserait ? Qu’est-ce qui vous ferait perdre vos moyens ? Réagir d’une façon que vous trouveriez lamentable ? Puis tentez de fixer un seuil de plausibilité au-delà duquel il y a vraiment très peu de risque que cela arrive. Constatez aussi que, en deçà de ce seuil, la situation reste gérable et supportable. Vous n’avez donc pas besoin de vous protéger par avance de ce qui ne se produira vraisemblablement pas. Enfin, imaginez l’apaisement que vous ressentiriez si vous disiez à votre interlocuteur ce que vous éprouvez. Cela ne vaudrait-il pas le coup ? »
Dépassionner l’échange
Essayer la coopération !!!
Décrire l’entreprise comme un panier de crabes relève souvent de la caricature. Bien sûr, la rivalité entre collègues existe, les petits chefs autoritaires et incompétents aussi. Mais, dans ce qui contrarie notre rapport au travail, la qualité des relations humaines est généralement moins en cause que l’organisation : la chaîne hiérarchique, les processus de décision, les moyens alloués… En résultent des difficultés liées aux rapports de domination, à l’absence de concertation, de coordination. Deux psychologues américains, Edward Deci et Richard Ryan, auteurs de la « théorie de l’autodétermination », se sont intéressés aux conditions qui permettent aux individus de donner le meilleur d’eux-mêmes et d’atteindre la plus grande satisfaction. D’après eux, elles sont au nombre de trois : travailler dans un environnement où ils se sentent égaux ; pouvoir déployer leurs compétences véritables ; pouvoir prendre les décisions qui leur semblent le mieux adaptées à leur travail et à l’intérêt de l’entreprise. La coopération, comprise comme un plus grand partage du pouvoir et une plus grande implication de chacun dans la structure, semble à même de répondre à ces besoins. À la faveur des réseaux sociaux, de la nécessité de faire émerger une intelligence collective pour affronter des enjeux de plus en plus complexes, elle se présente comme un substitut des organisations pyramidales. Et serait le moyen de prévenir les risques psychosociaux, d’accroître l’efficacité des équipes et d’instaurer une nouvelle culture du bien-être dans l’entreprise. Mais, concrètement, comment y parvenir ?
Résister aux préjugés